La filtration : rétention de particules alimentaires en suspension dans l'eau du milieu | ||
---|---|---|
Précédent | La filtration dans la physiologie des animaux | Suivant |
La fonction d'alimentation des animaux présente une relative diversité. Elle concerne en particulier la prise alimentaire, étape initiale de l'alimentation, consistant en le prélèvement de la nourriture et le cas échéant son ingestion.
Deux grandes catégories de prises alimentaires sont distinguées :
l'osmotrophie, correspondant à l'absorption de matière organique dissoute, pratiquée par des animaux parasites par exemple ;
la phagotrophie, correspondant à l'ingestion de matière organique particulaire.
Parmi les animaux pratiquant la phagotrophie, certains ingèrent des particules alimentaires de dimensions importantes par rapport à leur taille alors que d'autres ingèrent des particules alimentaires de dimensions faibles par rapport à leur taille. Les premiers sont qualifiés de macrophages, ce sont par exemple le Crabe vert parmi les Euarthropodes, la Néréis parmi les Annélides et l'espèce humaine parmi les Mammifères. Les seconds sont qualifiés de microphages, ce sont par exemple les Balanes parmi les Euarthropodes, le Lombric parmi les Annélides et les Baleines à fanons parmi les Mammifères.
L'une des formes de microphagie, présente uniquement en milieu aquatique, consiste en la rétention et l'ingestion des particules alimentaires en suspension dans le milieu. Elle porte le nom de suspensivorie. Comment est-elle réalisée ?
Les Balanes sont des Euarthropodes du groupe des Cirripèdes. Animaux marins, elles vivent fixées sur divers supports comme les coquilles d'Eumollusques, par exemple des Moules, les rochers en eau peu profonde, les quais des ports ou encore les coques de navires non traitées. À l'instar des autres Euarthropodes, le corps des Balanes est recouvert d'une cuticule articulée. Elle constitue une enveloppe rigide et conique, la muraille, surmontée d'un opercule mobile. Dans la zone intertidale, l'animal s'y rétracte à marée basse.
Le corps des Balanes est divisé en deux régions, la tête portant la bouche associée à des appendices buccaux et le thorax constitué de cinq ou six segments portant chacun une paire d'appendices. Les appendices thoraciques sont biramés. Les rames, longues, fines et articulées, sont appelées cirres.
Deux types de cirres sont distingués selon leur localisation, leur longueur et les caractéristiques des soies qu'ils portent :
les appendices postérieurs, au nombre de trois paires, possèdent des cirres longs, portant des soies longues et peu denses ;
les appendices antérieurs, au nombre de trois ou deux paires, possèdent des cirrres courts, portant des soies courtes et très serrées.
En période d'immersion, l'opercule est ouvert et les cirres sont déployés. Un courant d'eau traverse la muraille, et en conséquence les cirres des appendices thoraciques antérieurs. Les soies serrées constituent un tamis à fines mailles retenant les particules dont la taille est supérieure à 1 µm, apportées par le courant d'eau. Les cirres des appendices thoraciques postérieurs sont quant à eux mobiles dans l'eau. Les soies espacées forment un filtre à larges mailles mais de surface importante, qui de même piège les particules en suspension. Les particules retenues par les soies, dont la taille est de l'ordre du dixième de millimètre, sont amenées aux appendices buccaux et à la bouche par l'enroulement des cirres en direction de l'opercule. Elles sont ensuite traitées par le tube digestif
Les Balanes, se nourrissant de particules en suspension dans l'eau qu'elles filtrent, pratiquent une microphagie par filtration.
Le dispositif de filtration des Balanes est constitué de soies entrecroisées. Qu'en est-il dans les autres groupes ?
La Sabelle est une Annélide polychète. Vivant en milieu marin dans un environnement sableux, elle est sédentaire et occupe un tube qu'elle produit, ouvert à la surface su substrat.
En période d'immersion, elle déploie les nombreux tentacules portés par son extrémité antérieure et entourant sa bouche. Ils forment une couronne en forme d'entonnoir. Chaque tentacule est constitué d'un axe portant deux rangées d'expansions latérales, les pinnules. Axes et pinnules comportent des structures de soutien, des nerfs, des vaisseaux sanguins ainsi que des diverticules cœlomiques, responsables du déploiement lorsque la pression du liquide cœlomique augmente. Les épithéliums des axes et des pinnules comportent des cellules ciliées et des cellules muqueuses.
Les pinnules sont creusées d'un sillon peu profond sur leur face interne, il correspond à leur région frontale. Elles portent trois types de cils distincts par leur localisation et leur longueur :
les cils frontaux, ou internes, courts ;
les cils latéraux, longs ;
les cils abfrontaux, ou externes, courts.
La couronne de tentacules est parcourue par un courant d'eau orienté de l'extérieur vers l'intérieur et de bas en haut. Il emporte avec lui des particules en suspension. Les pinnules et leur ciliature latérale constituent un tamis retenant les particules en suspension. Lorsqu’une particule entre en contact avec les cils latéraux, elle est déviée par leurs mouvements vers le sillon. Elle est alors acheminée vers l'axe du tentacule par les battements des cils frontaux. Elle gagne ensuite le sillon trophique profond creusant la face interne de l'axe du tentacule. Au niveau du sillon trophique, les particules sont triées selon leur taille : les plus petites gagnent le fond du sillon et sont amenées à la bouche alors que les plus volumineuses sont rejetées.
Finalement, les particules apportées par le courant général traversant la couronne de tentacules sont entraînées par des microcourants locaux dus aux battements de la ciliature. De même que les Balanes, la Sabelle est un animal pratiquant la microphagie par filtration mais le filtre est constitué de tentacules et de pinnules ciliés.
Parmi les filtres employés dans la suspensivorie figurent également des dispositifs relevant du tube digestif.
L'Amphioxus est un animal marin appartenant au groupe des Céphalocordés. De forme aplatie et dépourvu d'appendice locomoteur, il vit légèrement enfoui dans le sable.
La région antérieure de l'Amphioxus porte la bouche en position ventrale, ouverte en permanence. Elle est entourée de vingt à trente expansions, appelées cirres, portant des papilles sensorielles. La cavité buccale comporte un organe rotateur et débouche dans le pharynx, un diaphragme percé d'un orifice, appelé velum, matérialisant leur limite. Le pharynx est volumineux et sa paroi est percée de fentes obliques. Une cavité péripharyngienne l'entoure.
Un courant d'eau pénètre par la bouche dans la cavité buccale avant de gagner la lumière du pharynx. Il apporte des particules en suspension. Les cirres contribuent à la collecte et au tri des particules alimentaires. L'organe rotateur, constitué de sillons ramifiés dont les cellules sont ciliées, est également impliqué dans la récupération de particules alimentaires, leur enrobage dans un mucus et leur transfert vers le pharynx. Depuis la lumière du pharynx, l'eau emprunte les fentes pharyngiennes et gagne la cavité péripharyngienne avant d'être évacuée à l'extérieur par un atriopore.
La paroi pharyngienne est recouverte d'un mucus produit par la gouttière pharyngienne ventrale appelée endostyle. Composé de mucopolysaccharides et de mucoprotéines, protéines glycosylées, il constitue un fin film à travers lequel l'eau circule mais retenant les particules alimentaires, avec des mailles mesurant en moyenne 700 nm x 350 nm.
Les particules ingérées, engluées dans le mucus sont acheminées vers la gouttière dorsale portant de petits tentacules, le raphé. Leur déplacement est dû aux battements des cils des cloisons pharyngiennes. Elles y sont moulées en un boudin acheminé vers l'intestin.
Dans le cas de l'Amphioxus, et plus généralement des Céphalochordés et des Urochordés, le filtre est constitué de la paroi pharyngienne recouverte d'un film muqueux.
Les Baleines à fanons se nourrissent, selon les espèces, principalement de krill et de Copépodes, organismes planctoniques de taille relativement importante, ou de poissons comme les Sardines ou les Harengs. La prise alimentaire implique un filtre localisé au niveau de la bouche et constitué des fanons.
Les fanons sont des lames rigides résultant du développement de replis du palais. Composés de kératine, ils ont une forme de triangle rectangle et sont insérés sur le palais par leur petit côté, en deux rangées latérales. Leur bord externe est lisse alors que leur bord interne est effrangé. Au nombre de plusieurs milliers de chaque côté, ils voient leurs filaments ventraux s'enchevêtrer et former un filtre dont les mailles permettent de filtrer l'eau tout en retenant les organismes dont les Baleines à fanons se nourrissent.
L'eau pénétrant dans la cavité buccale est filtrée à travers les fanons responsables de la rétention d'une grande quantité d'organismes planctoniques ou de poissons. Les particules alimentaires retenues sont ensuite ingérées.
Finalement, les filtres employés par les animaux dans le cadre de la prise alimentaire microphage sont de natures et d'origines diverses. Il peut s'agir d'appendices portant des soies, de tentacules portant des cils, d'un pharynx cilié et percé de fentes ou encore de différenciations du palais. Très généralement, la surface des filtres est importante, augmentant leur capacité de rétention, et des dispositifs évitant leur colmatage sont présents, consistant en l'évacuation des particules au fur et à mesure de leur capture ou en l'inversion des courants d'eau délogeant les particules responsables de l'obturation.
Dans tous les cas le filtre est traversé par un courant d'eau et retient les particules alimentaires.
Quelle est l'origine du courant d'eau ?
Immergées, les Balanes sont animées de mouvements corporels consistant en une extension du thorax hors de la muraille, par l'orifice de l'opercule, et un déploiement des cirres des appendices thoraciques postérieurs. Ils provoquent une dépression dans la muraille, à l'origine d'une entrée d'eau. Elle circule de l'avant vers l'arrière et traverse les cirres des appendices thoraciques antérieurs. Le thorax se rétracte ensuite dans la muraille alors que les cirres des appendices postérieurs s'enroulent. L'eau est expulsée de la muraille.
Le courant d'eau apportant les particules en suspension est, dans le cas des Balanes, généré par des mouvements du thorax et des appendices thoraciques postérieurs. D'origine musculaire, il contribue à augmenter le débit de l'eau apportant les particules en suspension au niveau du filtre. Les cirres des appendices thoraciques antérieurs constituent un filtre passif dans la mesure où ils sont immobiles, alors que ceux des appendices thoraciques postérieurs forment un filtre actif, en mouvement.
En relation avec leur mode de prise alimentaire, les Balanes ne peuvent se nourrir qu'en conditions d'immersion. Dans la zone de balancement des marées, leur prise alimentaire est discontinue dans le temps.
Le courant d'eau permettant la prise alimentaire des Baleines à fanons est également d'origine musculaire. L'ouverture de la bouche et l'abaissement de la langue génèrent une dépression dans la cavité buccale, à l'origine de l'entrée d'un important volume d'eau dans laquelle les particules alimentaires en suspension sont présentes. La fermeture de la bouche combinée au soulèvement de la langue provoque une augmentation de la pression dans la cavité buccale et en conséquence la sortie de l'eau à travers le filtre formé par les fanons. Les muscles sont impliqués dans l'ouverture et la fermeture de la bouche ainsi que dans les mouvements de la langue. Ils permettent la mise en mouvement de l'eau ayant pour conséquence une augmentation de son débit à travers le filtre.
Dans le cas de l'Amphioxus et de la Sabelle, le courant d'eau a une origine différente.
La cavité buccale de l'Amphioxus est recouverte d'un épithélium cilié. De même les cloisons pharyngiennes portent une ciliature latérale bien développée. Les battements des cils provoquent une mise en mouvement de l'eau chargée en particules alimentaires. Un courant d'eau est ainsi généré, entrant par la bouche dans la cavité buccale, puis dans la lumière du pharynx et traversant le filtre pharyngien vers la cavité épipharyngienne.
De même, le courant d'eau traversant la couronne de tentacules de la Sabelle de l'extérieur vers l'intérieur et de bas en haut résulte des battements des cils portés par les tentacules.
De nombreux autres groupes génèrent un courant d'eau grâce à des battements de cils ou de flagelles, par exemple les Porifères et les Eumollusques bivalves.
Ainsi, les structures de filtration diffèrent selon les groupes d'animaux filtreurs de même que les dispositifs mettant en mouvement l'eau amenant les particules en suspension. En revanche, la circulation de l'eau est très généralement unidirectionnelle.
Dans le cas d'animaux vivant fixés comme la Cione du groupe des Urochordés, ou enfouis comme la Scrobiculaire du groupe des Eumollusques bivalves, la position des orifices inhalant et exhalant à des hauteurs différentes favorisent la mise en place du flux d'eau.
La filtration comme mode de prise alimentaire implique donc un flux d'eau à travers un filtre, le rétentat étant conservé et ingéré, et l'eau évacuée. La surface importante du filtre de même que le débit élevé concourent à l'efficacité de la filtration qui dépend par ailleurs du temps de filtration ainsi que de la concentration et de la taille des particules en suspension.
La filtration est un processus qui permet également de produire un liquide de composition différente du liquide originel.